Novembre est un mois intense à la Haute École Européenne Ivy de Technologie (HEEIT). C’est la période où les projets de mi-semestre révèlent les premières tensions entre la théorie pure et la complexité du réel. Ce mois-ci, cette “friction” n’a jamais été aussi palpable qu’au sein de notre Master (MSc) “Ingénierie d’Affaires & Transformation Numérique”.
Ce programme n’est pas un MBA traditionnel. Nous ne formons pas de simples gestionnaires ; nous formons des “architectes de la transformation” – des leaders hybrides qui maîtrisent à la fois la stratégie commerciale (enseignée par le Dr. König) et la sociologie de l’innovation (enseignée par le Dr. Lambert).
Depuis septembre, nos étudiants en Master travaillent sur le “Projet Atlas” : une simulation de gestion du changement grandeur nature. Leur mission ? Concevoir et “simuler” le déploiement d’une nouvelle suite logicielle de gestion pédagogique complexe au sein de notre propre institution. Et leur “client” test n’était autre que l’entité la plus stable et la plus exigeante de notre écosystème : notre personnel enseignant du Lycée (cycle K-12).
Pendant huit semaines, nos étudiants MSc ont travaillé en vase clos. Ils ont produit un plan de transformation qui était, sur le papier, une œuvre d’art technique. Des diagrammes de Gantt optimisés, des cartographies des parties prenantes, des algorithmes d’efficacité pour la migration des données, et une série de “modules de formation” standardisés. Leur plan traitait la transformation comme un problème d’ingénierie : une série d’étapes logiques pour atteindre un état futur “optimal”.
Ce plan, pensions-nous, était parfait.
Puis, la simulation a commencé. La semaine dernière, les étudiants MSc ont présenté leur solution “clé en main” aux vrais professeurs du Lycée.
L’échec fut immédiat, total, et incroyablement instructif.
La “résistance” que nous avons observée n’était pas la résistance irrationnelle que les manuels décrivent. C’était une résistance professionnelle et parfaitement articulée. Les professeurs du K-12, forts de décennies d’expérience pédagogique, ont méthodiquement démantelé le plan “parfait” de nos Masters.
“Votre ‘module de formation’ standardisé est inutile,” a lancé un professeur de mathématiques. “Il ne tient pas compte du fait que nous n’avons que 15 minutes entre deux cours, pas l’heure que vous avez ‘allouée’.”
Une autre enseignante (littérature) a ajouté : “Votre ‘interface optimisée’ nous fait gagner trois clics sur la saisie des notes, mais elle nous en fait perdre dix pour rédiger une appréciation nuancée d’un élève. Vous avez optimisé la donnée, vous avez dégradé la pédagogie.”
Le coup de grâce est venu du coordinateur du Lycée : “Vous avez passé huit semaines à concevoir une solution à un problème que vous n’avez jamais pris la peine de nous demander. Vous n’avez pas conçu une transformation ; vous avez conçu une implémentation forcée.”
Nos étudiants en Master étaient sous le choc. Leur plan, qui supposait une adoption rationnelle, s’est désintégré face à la réalité de la culture organisationnelle, des habitudes ancrées et de l’expertise professionnelle. Ils avaient traité les enseignants comme des “utilisateurs” passifs à former, et non comme les experts du domaine qu’ils sont.
Le Dr. Lambert (Sociologie de l’Innovation) a dû arrêter la simulation. C’était, en termes de déploiement, un fiasco. Mais en termes d’apprentissage, ce fut le plus grand succès de l’année.
Nos étudiants en Master ont appris, de la manière la plus brutale, la leçon fondamentale de la HEEIT : la “Transformation Numérique” n’est jamais un problème technique. C’est un problème humain, culturel et sociologique. L’échec du “Projet Atlas” a forcé nos futurs ingénieurs d’affaires à sortir de leurs tableurs. Ils recommencent leur projet à zéro. Mais cette fois, ils ne le font pas pour les enseignants ; ils le font avec eux.

Leave a Reply