Le Ligne Rouge : Quand l’optimisation devient une défaillance humaine (Le Grand Jury de la HEEIT)

Juin est le mois des Grands Jurys à la Haute École Européenne Ivy de Technologie (HEEIT). C’est le moment où nos étudiants de Master présentent le point culminant de leur cursus. Mais cette année, la soutenance de nos finissants du Master (MSc) “Ingénierie d’Affaires & Transformation Numérique” ne s’est pas déroulée comme une validation académique. Ce fut une confrontation. Une confrontation essentielle.

Le projet des étudiants était, sur le papier, un chef-d’œuvre. Leur mission, confiée par le Dr. Markus König (leur directeur de pôle), était de concevoir un plan de transformation numérique complet pour un “client” simulé, mais complexe : une grande mutuelle d’assurance belge luttant avec des systèmes informatiques vieillissants.

Pendant des mois, nos étudiants ingénieurs-managers ont travaillé avec brio. Ils ont utilisé les outils de nos laboratoires d’IA (EASA Lab) pour développer un nouveau “workflow” de traitement des sinistres. Leur solution promettait une réduction de 40% du temps de traitement et une économie projetée de 25% sur les coûts opérationnels, grâce à l’automatisation. Un plan techniquement et financièrement impeccable.

C’est alors que le jury a pris une tournure inhabituelle pour la HEEIT. Nous avions invité la Professeure Sofia Bianchi – Directrice de notre pôle “Arts Numériques & Design Interactif” et experte reconnue en “Human-Centric Design” – à se joindre au jury, en tant qu’”auditrice externe” de l’impact humain.

Après la présentation des étudiants, qui avait impressionné le Dr. König (leur propre professeur), la Prof. Bianchi a pris la parole.

Elle n’a pas regardé les projections financières. Elle n’a pas commenté l’architecture du code. Elle a posé une seule question : “Pouvez-vous me montrer le parcours UX (User Experience) non pas du client, mais de l’employé qui doit utiliser ce nouvel outil ?”

Un silence s’est installé. Les étudiants, visiblement déstabilisés, ont présenté une interface fonctionnelle mais dense.

La Prof. Bianchi a alors projeté sa propre analyse, basée sur les principes de son studio IIHCD (Immersive Interaction & Human-Centric Design). “Votre ‘optimisation’”, a-t-elle commencé, “est en fait un transfert de coût. Vous n’avez pas réduit le travail, vous l’avez intensifié.”

Elle a démontré, point par point, que l’interface “efficace” des étudiants augmentait la charge cognitive de l’employé. “Vous forcez l’employé à gérer trois flux d’informations simultanés là où il n’y en avait qu’un. Vous avez automatisé les 80% de tâches faciles, mais vous avez concentré les 20% de cas les plus complexes – les cas émotionnellement drainants, les ‘exceptions’ – sur un plus petit nombre d’humains, tout en exigeant d’eux qu’ils ‘valident’ le travail de l’IA en temps réel.”

“Selon mon analyse”, a-t-elle conclu, “votre plan n’entraînera pas 25% d’économies. Il entraînera, en 18 mois, une augmentation de 50% du ‘burnout’ des employés qualifiés et une chute de la satisfaction client pour les cas complexes – ceux où l’empathie humaine, que vous venez de ‘tayloriser’, est la seule valeur ajoutée.”

Le verdict du jury fut un moment fondateur pour la HEEIT.

Les étudiants ont reçu leur diplôme de Master. Mais ce ne fut pas une victoire triomphale. Le jury a validé leur diplôme avec une “mention critique” : techniquement brillants, mais sociologiquement incomplets.

Ils ont appris ce jour-là, de la manière la plus directe, ce que la HEEIT s’efforce d’enseigner : la “Transformation Numérique” n’est pas l’optimisation d’un processus. C’est la gestion d’un impact humain. L’échec de nos étudiants à voir cette “Ligne Rouge” fut la leçon la plus importante de leur cursus.


Comments

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *